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+ +- À la fin du 19e siècle, l’Allemagne est la première nation à se doter d’un système d’assurances sociales obligatoires. C’est ainsi la première fois qu’un Etat s’empare de la question de l’assurance sociale, sous l’impulsion du chancelier Otto Von Bismarck (1815 - 1898) qui fait adopter une loi d’assurance contre la maladie (1883), une loi d’assurance contre les accidents du travail (1884) et une loi d’assurance vieillesse (1889). Faisant taire l’agitation socialiste et combattant les socio-démocrates, le but est d’assurer le bon fonctionnement de l’économie en temps de progrès industriel, en garantissant une meilleure santé aux ouvriers qui constituent la force de travail. A ces assurances sociales, sont tout d’abord préférées en France de grandes lois d’assistance publique (par exemple la loi de 1893 sur l’assistance médicale gratuite). Un tournant s’amorce en 1898 avec la loi sur les accidents du travail puis celle de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes. Pourtant, la France est le dernier grand pays d’Europe à adopter le système des assurances sociales obligatoires par la loi du 30 avril 1930.
Assurance sociale (n.f)
Système de protection sociale par lequel le travailleur verse une cotisation en fonction de son revenu et s’ouvre ainsi le droit de recevoir une prestation en cas de perte de salaire consécutive à un accident, au chômage, à la vieillesse...
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La loi du 9 avril 1898 en France
a organisé l’indemnisation des salariés victimes d’un accident du travail ou atteints d’une maladie liée à leur situation professionnelle. Avant la mise en place de cette loi, les salariés devaient apporter la preuve d’une faute de leur employeur. Désormais, tout accident survenu sur le lieu de travail, pendant les heures de travail, sera supposé d’origine professionnelle sauf cas de faute intentionnelle ou inexcusable.
La loi du 5 avril 1910 en France
instaure un régime obligatoire de retraite par capitalisation avec cotisations ouvrières et patronales et apport de l’État, en faveur de tous les salariés du secteur privé. L’âge de la retraite est fixé à 65 ans. Adoptée par le Parlement contre l’opinion publique toutes tendances confondues, sa mise en œuvre se heurtera à de grandes difficultés.
La loi du 30 avril 1930 en France
instaure les assurances sociales pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès. Elle affirme les principes d’obligation d’affiliation, de financement exclusif par des cotisations proportionnelles mais plafonnées des entreprises et des salariés du commerce et de l’industrie gagnant en dessous d’un plafond de revenus, de l’association de partenaires sociaux à la gestion et à la négociation tarifaire avec les médecins.
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- + +- L’application pratique des assurances sociales - Guide de l’assuré zoom
- + +- « La route des assurance sociales » - extraits du journal le Peuple - numéro spécial du 1er mai 1927. zoom
- + +- Page de couverture du n°199 de la Revue L’animateur des temps nouveaux - « Le médecin et les assurance sociales » - décembre 1929. zoom
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Les portraits symboliques
Extrait du guide pratique des assurances sociales par Joannès Mazenod, Directeur de la Caisse départementale de l’Isère, Grenoble, 1937.
Le resquilleur
On ne trouve pas ce terme dans le dictionnaire, mais cette expression populaire dit bien ce qu’elle veut dire. Le resquilleur est celui qui fraude, pour toucher ce qui ne lui revient pas. Employeur, il ne verse pas ou il verse de temps en temps, ou bien encore il retient la cotisation de ses employés et ne la verse pas. Employé, il apporte fort peu d’empressement à acquitter ses cotisations.
Mais dès qu’il a versé son franc, il veut sur-le-champ en récupérer mille, davantage si possible. Le resquilleur a la manie de la balance, d’une singulière balance, dont le plateau des droits l’emporte toujours sur celui des devoirs.
Pour lui, les assurances sociales, c’est une machine infernale dans laquelle on met dix centimes d’un côté et, en appuyant sur la manette, de l’autre côté, il doit en sortir des billets de banque à l’infini. Pour lui, l’argent des assurances sociales est l’argent de l’État et voler l’État, ce n’est pas voler, c’est se débrouiller.
Aussi, le resquilleur se débrouille. Il prévoit un ou deux mois à l’avance que son employé accouchera ou qu’il sera lui-même malade à telle époque. Il connaît admirablement bien les lois et les règlements, sinon dans leurs textes littéraux, du moins dans leur interprétation pratique. Il ne craint pas sa peine et ne recule devant aucune formalité, devant aucune démarche, devant aucune visite.
S’il faut crier, il crie. S’il faut mentir, il ment. S’il faut se prosterner, il se prosterne. S’il faut pleurer, il pleure. Peu lui importe. La fin justifie les moyens. L’essentiel est qu’il puisse, soit jouer au philanthrope avec l’argent des autres, soit toucher. C’est un verbe qu’il connaît bien et qu’il conjugue toujours au même temps. Toucher. Toucher. Toucher.
Le malheur pour le resquilleur, c’est que peu à peu, la loi a été aménagée pour rendre plus difficile ces procédés. Les caisses sont de mieux en mieux armées pour se défendre. Maintenant, les resquilleurs sont dépistés immédiatement.Monsieur Le Bon
Monsieur Le Bon, l’immense majorité. Monsieur Le Bon, employeur, rempli toutes les obligations de la loi. Il se prête, de bonne grâce, à toutes les formalités même si elles atteignent la chinoiserie, ce qui arrive quelques fois.
Monsieur Le Bon, assuré social, comprend les principes fondamentaux des assurances sociales. Il sait notamment que s’il veut pouvoir légitimement revendiquer des droits à un moment donné, il doit remplir, au préalable, un certain nombre de devoirs.
Monsieur Le Bon n’attend pas que sa maison soit en flamme pour songer à l’assurance. Il veille au versement effectif régulier de ses cotisations et de celles de son patron. S’il demande des prestations, pour lui ou pour sa famille, il constitue ou fait constituer son dossier comme il faut. Il sait que les pièces exigées ne le sont pas pour le plaisir, mais qu’elles n’ont qu’un seul but, empêcher les abus dans l’intérêt de tous.
Monsieur Le Bon se soumet de bonne grâce aux contrôles médicaux et administratifs dont il connaît la raison, la sauvegarde des intérêts légitimes de tous les adhérents de la caisse, donc les siens. Si pour une raison quelconque, il ne remplit pas les conditions exigées par la loi, il ne demande rien, il sait qu’il n’y a pas droit. Si les remplissant, il a l’impression que ses intérêts ont été frustrés - une erreur est toujours possible - il réclame poliment et avec précision, au directeur de la caisse, convaincu que dans ces conditions, justice pleine et entière lui sera rendue.
Si les caisses doivent rester sourdes aux tentatives d’abus, elles sont vigilantes pour assurer les droits légitimes de tous.Le chicaneur
Le chicaneur a toujours raison et n’a jamais son compte. C’est un monomane, il a la manie de la procédure et de la persécution. Il voit des ennemis partout pour lui nuire. Il écrit beaucoup aux députés, aux sénateurs, aux ministres, aux avocats, aux hommes d’affaires. Ses lettres commencent invariablement par ces mots « Je suis très étonné » et se terminent par des invocations à « Monsieur qui de droit » et par de virulentes menaces des foudres de Dame Thémis, qui bien entendu, jusqu’à ce que le jugement soit rendu et corps et âmes avec lui.Le négligeant
Type assez répandu. À condition de n’avoir rien à faire, le négligeant paie ponctuellement ses cotisations, il n’abuse pas des avantages de la loi, il est honnête et scrupuleux. Mais il a une sainte horreur de tout ce qui est formalité et paperasseries. La perspective d’avoir à prendre un porte-plume en main l’épouvante. Employeur, il dit « demain je ferai ceci, demain je ferai cela ». Employé, il ne s’occupe de rien et laisse à son patron le soin de tout. Surtout, il n’écrit rien. S’il lui advient d’avoir besoin de prestations, il se procure la moitié des pièces nécessaires en maugréant puis, il attend patiemment sous l’orme qu’on lui apporte à domicile ce qui lui revient. Il lui arrive ainsi d’attendre longtemps car il n’a pas, ou insuffisamment, fait connaître ce qui lui est arrivé : maladie, maternité, décès dans sa famille. Dans sa naïveté, qui est grande, il pense que sa caisse doit le savoir et doit remédier à sa propre carence. « Après tout », se dit-il, « les employés des assurances sociales sont bien là pour faire quelque chose ». Heureusement pour le négligeant, qu’il y a partout des âmes compatissantes qui se mêlent de ses affaires, que les caisses d’assurances sociales ont dans chaque pays des représentants dévoués qu’on appelle des correspondants, et qui eux, ne craignant pas leur peine, remplissent consciencieusement feuilles, formules et papiers de toute nature, au lieu et place du négligeant.Le réfractaire
Pour le réfractaire, les assurances sociales sont intolérables. Il les considère comme une invention diabolique des pouvoirs publics pour lui prendre son argent et l’embêter. Employeur, il déclare que son employé ne veut rien savoir. Employé, il dit que son employeur ne veut rien entendre. Il use de tous les moyens, de tous les artifices pour éviter le prélèvement scandaleux à ses yeux. Il grogne. Il vitupère à tous les échos. Il s’arrange toujours pour échapper aux obligations de la loi. Bien sûr, le réfractaire, prélève lui-même sur son avoir ou sur son salaire, des sommes beaucoup plus importantes que les cotisations des assurances sociales pour des fins beaucoup moins utiles quand elles ne sont pas franchement nuisibles à lui-même et à sa famille. Mais ce n’est pas la même chose, n’est-ce pas ? Cependant, qu’un jour vienne, et il ne manque jamais de venir, que son employé soit malade ou qu’il ait lui-même besoin des prestations prévues par la loi, alors soudain, le réfractaire découvre toutes les vertus des assurances sociales et leur impute tous les devoirs. Il s’étonne et s’indigne, bien entendu, de leur mauvaise volonté et de leur manque de cœur. -
Joannes Mazenod - Les assurances sociales
Rien d’humain n’est parfait. Les assurances sociales, en dépit de tous les dévouements, ne peuvent échapper à cette règle inexorable. Mais la conclusion que l’on a le droit de tirer, c’est qu’avec toutes ses insuffisances et ses imperfections, la loi des assurances sociales constitue une très grande amélioration sociale et une très grande réforme.
Pour s’en convaincre, ne suffit-il pas de se reporter, par la pensée, à ce qui était avant elle ? Lorsqu’un enfant venait au monde, que touchaient les parents ? Des compliments et des encouragements verbaux, à continuer dans les mêmes conditions. Lorsque la maladie frappait à la porte du foyer ouvrier, que se passait-il ? On allait quérir le médecin de l’assistance publique où l’on attendait que le mal soit incurable. Lorsque la mort se présentait, laissant dans la famille plusieurs orphelins, que faisait-on ? Que recevait cette famille ? Des condoléances après quoi, la châtelaine, ou la dame charitable du coin, se présentait avec de vieilles hardes que l’on adaptait à la taille des petits, quelques friandises et l’on y pensait plus. Aide-toi, le ciel t’aidera. Enfin, après une dure vie de labeur, lorsque les travailleurs atteints par l’âge étaient renvoyés des usines, des chantiers, que recevaient-ils ? Rien ! Pardon, quelques fois la médaille du travail.
Aujourd’hui on peut comparer et juger, les assurances sociales sont utiles à la santé des humbles, elles les défendent contre la maladie et la mort. Elles préservent tout le monde des contaminations funestes risquant de faire perdre les plus précieux des biens, la santé et la vie.
La septième année d’existence des assurances sociales vient de commencer en France. La loi est encore dans l’adolescence, c’est une petite fille belle et charmante, elle grandira, elle embellira de plus en plus. Il le faut, c’est l’ordre normal des choses. Dans dix ans elle sera magnifique. Saluons respectueusement ses parents, mutualistes et syndicalistes qui ont souffert, qui ont lutté, qui ont espéré en elle de longues années avant sa naissance. Puis prenons-la par la main, conduisons-la, mesdames et messieurs, vers son destin incomparable.
Conclusion du guide pratique des assurances sociales par Joannès Mazenod, Directeur de la Caisse départementale de l’Isère, Grenoble, 1937
Époque contemporaine
Assurance : l’État s’empare de la question
Assurance : l’État s’empare de la question